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Insight

Le soutien à l'injection de biométhane en Wallonie

14/01/2021

Locations

Belgium

 
Le gouvernement wallon s'est doté en mars 2018 d'un cadre juridique visant à favoriser la production de biométhane et son injection dans le réseau gazier[1]. Bien que des centrales de biométhanisation commencent à voir le jour, cet encadrement demeure obscur aux yeux de certains.

Nous rappelons ici les particularités du biométhane et le rôle qu'il peut jouer dans la transition énergétique (1). Nous décrivons ensuite les mécanismes juridiques mis en place par les autorités wallonnes, en particulier le régime de soutien basé sur la valorisation des labels et garanties d'origine (LGO) (2). Nous examinons enfin quelles sont les faiblesses et perspectives d'amélioration de l'encadrement (3).

    1Le biométhane et son potentiel dans le cadre de la transition énergétique

Depuis plusieurs décennies, les politiques publiques de soutien aux énergies renouvelables ont surtout profité à la production d'électricité verte. Bien qu'elles aient contribué à rencontrer nos objectifs climatiques, ces politiques montrent désormais leurs limites[2], notamment car l'électricité  - aussi verte soit-elle - représente pour l'heure un peu moins d'un cinquième de l'énergie finale que nous consommons[3]. La poursuite de nos ambitions climatiques impose donc de s'intéresser également, et peut-être plus particulièrement, aux moyens de décarboner nos consommations en carburant et en chaleur. C'est dans ce contexte que des investisseurs et décideurs politiques se penchent sur le biométhane qui pourrait, dans une certaine mesure, être substitué au gaz naturel conventionnel.

Le biométhane provient de l'épuration du biogaz, lui-même issu de la fermentation anaérobique de produits organiques (des déchets agricoles, déjections animales, bois et ordures ménagères par exemple). Le biogaz peut être qualifié de gaz "vert" dans la mesure où il est issu de sources renouvelables, il est neutre en émissions de carbone et il s'inscrit généralement dans des circuits courts de type économie circulaire. Le biogaz est principalement composé de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2). Il peut donc être brûlé pour alimenter une unité de cogénération locale ou, lorsque les conditions techniques, économiques et règlementaires le permettent, il peut être transformé en biométhane afin d'être injecté et transporté dans le réseau de gaz naturel.  

Pour favoriser l'essor de la filière, la région wallonne a adopté en 2018 un cadre réglementaire relatif à l'injection de biométhane dans les réseaux de gaz naturel. A la faveur de ce nouvel encadrement, du biométhane a été introduit pour la première fois dans le réseau d'ORES en octobre 2018 par Cinergie, une société spécialisée dans le traitement de déchets agro-alimentaires.

A cette occasion, le ministre Philippe Henry a indiqué qu'un potentiel de 8 TWh annuel existait pour la production de biométhane en Wallonie. De son côté, ORES a estimé que 200 à 250 millions d'euros de subsides annuels seraient nécessaires pour atteindre un objectif de 4TWh à l'horizon 2030, ce qui porterait à 25 pour cent la part du biométhane dans le gaz distribué en Wallonie.

Comme souvent, le savoir-faire des ingénieurs et le soutien financier des pouvoirs publics sont essentiels mais insuffisants pour assurer le déploiement de la filière. Il convient également que les autorités compétentes élaborent un cadre juridique adéquat, clair et fiable de nature à attirer les investissements.

    2. Encadrement et soutien à l'injection de biométhane en Wallonie

L'encadrement wallon vise le biométhane, mais également tous les gaz issus de la transformation de sources d'énergie renouvelables, tels que le biogaz, les gaz de synthèse et l'hydrogène vert (ci-après "les gaz SER")[4].

Le soutien à l'injection de gaz SER dans le réseau se concrétise à différentes étapes du processus par (a) la prise en charge des coûts d'installation de la cabine client, (b) l'accès prioritaire au réseau et (c) la possibilité pour le producteur de gaz SER de valoriser ses LGO.

    a. Raccordement au réseau

Depuis 2015, le décret relatif au marché du gaz prévoit que les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) doivent permettre l'injection de gaz SER sur leurs réseaux de gaz naturel, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées dans la réglementation applicable[5].

En pratique, le producteur de gaz SER doit introduire une demande de raccordement auprès de son GRD, qui devra vérifier :
  • La compatibilité du gaz SER proposé avec le gaz naturel conventionnel et le respect des normes de qualité prévues dans le règlement de raccordement[6] et les prescriptions de SynerGrid[7] ;
  • La capacité du réseau à recevoir et distribuer les quantités de gaz SER proposées ;
  • La possibilité pour le demandeur de se conformer aux obligations prévues dans le contrat de raccordement tel qu'approuvé par la CWaPE.
Le cas échéant, le GRD doit installer et exploiter une cabine exclusivement destinée à l'injection de gaz SER. Les coûts d’installation de cette cabine sont pris en charge par le GRD et sont répercutés sur l’ensemble des consommateurs. Les coûts d’exploitation sont en revanche supportés par le producteur de biométhane selon un tarif proposé par le GRD et approuvé par la CWaPE[8].

    b. Accès au réseau et vente du biométhane

Une partie des revenus du producteur provient de la vente de biométhane sur le réseau. Avant la mise en service du raccordement, le producteur de biométhane doit conclure un contrat d'injection avec un fournisseur, qui se chargera de vendre le biométhane aux clients finals. Dès lors qu'un contrat de raccordement a été conclu et que les règles d'injection et d'exploitation sont respectées, le GRD donne un accès prioritaire au gaz SER.

    c. Aide à la production via la valorisation des LGO

Le soutien wallon au biométhane repose principalement sur la possibilité pour le producteur de valoriser ses labels et garanties d'origine (LGO). Le système européen des LGO est un régime de titres négociables attribués aux producteurs d'énergie verte pour chaque MWh qu'ils produisent. Ce régime permet en principe de retracer l'endroit où l'énergie a été produite et les titres garantissent le caractère renouvelable de la source d'énergie utilisée. Les LGO ont une valeur marchande dans la mesure où ils sont achetés par des fournisseurs désireux de démontrer l'origine verte de leur approvisionnement électrique. Cependant, la valeur marchande des LGO n'est pas suffisante en soi pour assurer la rentabilité de la filière biométhane en Wallonie. Le gouvernement a donc décidé de créer un marché à part pour les LGO issus des gaz SER produits et injectés en Wallonie (LGO gaz SER).

Depuis 2018, les producteurs d’électricité verte de la filière cogénération fossile peuvent utiliser des LGO gaz SER afin d'obtenir des certificats verts (CV) additionnels. La quantité de CV additionnels que peuvent recevoir les exploitants d'unités de cogénération pour chaque LGO gaz SER est calculée selon une méthode définie par la CWaPE et approuvée par le gouvernement. Le nombre de CV additionnels dépend de la performance environnementale du biométhane reprise sur les LGO gaz SER utilisés, de la part de biométhane utilisé et des conditions de marché du gaz naturel et des CV[9].

En bref, les exploitants de cogénérations fossiles sont incités à acheter des LGO gaz SER pour obtenir davantage de CV. Plus la quantité de CV additionnels est importante, plus la valeur marchande des LGO gaz SER augmente.

S'agissant de la procédure, une de demande de réservation pour les CV additionnels doit être introduite auprès de l'administration wallonne (la DGO4). C'est le producteur de biométhane qui introduit la demande au bénéfice de l'exploitant de cogénération fossile qui utilisera le biométhane. Le producteur de biométhane et le propriétaire de la cogénération doivent au préalable conclure un mandat de représentation et un contrat de fourniture de LGO gaz SER. Ces contrats sont conclus pour une durée minimale de deux ans et exprimée en multiple d'année complète.

Le producteur de biométhane recevra chaque trimestre de la part de l'administration wallonne une quantité de LGO gaz SER correspondant à la quantité de biométhane injectée. Ces LGO gaz SER seront ensuite vendus au propriétaire de cogénération fossile conformément au contrat de fourniture préalablement conclu. Lorsqu'il remettra ses relevés d'index à l'administration wallonne, le propriétaire de l'unité de cogénération pourra faire valoir les LGO gaz SER qu'il a achetés et ainsi bénéficier de CV supplémentaires.

    3. Faiblesses du mécanisme de soutien et perspectives d'évolution  

    a. Marché de LGO gaz SER v. tarifs d'achat

La valorisation des LGO gaz SER est le cœur du mécanisme de soutien mis en place par la région wallonne en 2018. Le moins que l'on puisse dire est que ce mécanisme est complexe. A l'instar du régime des CV, le mécanisme des LGO gaz SER témoigne sans doute de la volonté des autorités de trouver un système fondé sur une logique de marché, dans lequel le prix des LGO gaz SER est défini par le jeu de l'offre et de la demande plutôt que fixé par l'administration. En effet, la bulle des certificats verts a montré tout le danger des prix d'achat ou taux de rentabilité garantis obligeant ensuite les autorités au rétropédalage.

Le gouvernement wallon avait envisagé en 2016 l'introduction d'un mécanisme de prix d'achat garanti qui aurait été calculé de manière à assurer un niveau de rentabilité donné à la filière biométhane.  Bien que cette option n'ait pas été retenue en 2018, elle serait de nouveau à l'étude au sein du gouvernement.

Un mécanisme de prix d'achat garanti suppose que les installations de biométhanisation puissent injecter leur biométhane sur le réseau en échange d'une rémunération fixe (et en tout état de cause supérieure au prix du marché) payée par le GRD. Cette dépense du GRD serait ensuite répercutée dans les tarifs de distribution.

Un tel mécanisme de prix d'achat garanti donnerait davantage de certitude aux investisseurs et contribuerait sans doute au développement de la filière. Ceci étant, un tel système pourrait, s'il est mal conçu, entraîner des distorsions de concurrence. En particulier, il pourrait ne pas inciter les producteurs de biométhane à augmenter leur performance économique ou environnementale. Pour cette raison, un mécanisme de prix d'achat garanti pourrait utilement prévoir des prix distincts plus ou moins avantageux selon que les installations se rapprochent d'un référentiel d'installations considérées comme performantes.

    b.Complexité de la procédure

La procédure de réservation des CV additionnels soulève également quelques difficultés. La réservation des CV est un préalable à de nombreux projets car elle donne certaines garanties de revenus aux investisseurs et permet à l'administration d'avoir une vision à long terme de la demande de CV. En revanche, la procédure de réservation oblige les porteurs de projet à conclure leurs contrats de fourniture LGO gaz SER avant même de savoir si leur demande de CV sera acceptée. Ces contrats de fourniture LGO gaz SER ont également pour effet de cadenasser les parties alors qu'elles pourraient vouloir changer de partenaire en cours d'exploitation. Par ailleurs, certains investisseurs pourraient être découragés par l'idée de s'engager dans un contrat de fourniture de LGO gaz SER pour une durée d'au moins deux ans.

    c. Manque de visibilité sur le prix des LGO

Le taux d'octroi additionnel dépend de facteurs difficiles à prédire tels que le prix des CV et du gaz naturel sur le marché. Le fait que la valorisation des LGO gaz SER soit liée à la valeur de marché des CV pourrait également soulever des difficultés dans l'hypothèse où le prix d'achat minimum des CV serait rabaissé ou abandonné dans le futur.  Ces complexités et inconnues nuisent à la visibilité à long-terme nécessaire aux investissements. Il est en effet essentiel que, à défaut de rentabilité garantie par les pouvoirs publics, la rentabilité du projet puisse être garantie avec un minimum de certitude. 

    4. Conclusion

Ce papier met en lumière une partie des enjeux et difficultés liés à l'adoption d'un encadrement clair et efficace pour le développement du biométhane en Wallonie. Il s'agit en effet d'une filière en pleine évolution, ce qui suppose que le droit soit régulièrement adapté et corrigé, en tenant compte d'objectifs parfois difficiles à concilier.

Il convient de tirer tous les enseignements des difficultés juridiques qui se posent, non seulement pour favoriser l'émergence du biométhane, mais également car ces enseignements se révèleront utiles lorsqu'il s'agira d'encadrer juridiquement l'injection d'hydrogène (vert) dans le réseau gazier en Belgique.

Écrit par: David Haverbeke,  Wouter Vandorpe,et Samuel Verschraegen
 

[1] Arrêté du 29 mars 2018 du gouvernement wallon modifiant l'arrêté du gouvernement wallon du 30 mars 2006 relatif aux obligations de service public dans le marché du gaz, l'arrêté du gouvernement wallon du 30 novembre 2006 relatif à la promotion de l'électricité produite au moyen de sources d'énergie renouvelables ou de cogénération et l'arrêté du gouvernement wallon du 23 décembre 2010 relatif aux certificats et labels de garantie d'origine pour les gaz issus de renouvelables.
[2] Sur ce sujet, voir S. Verschraegen et L. Navé, « Le nouveau droit européen des énergies renouvelables », J.D.E., 2019/4, n° 258, p. 150-157.
[3] Voir Agence internationale de l’énergie, Belgium – Data and statistics, consulté le 11 janvier 2021.
[4] L'article 2, 6° du décret du 19 décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional définit un gaz issu de sources d'énergies renouvelables comme un "gaz issu de la transformation de sources d'énergie renouvelables, soit par fermentation, soit par traitement électrochimique et/ou thermochimique".
[5] Article 12, 7° du décret du 19 décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional du gaz.
[6] Voir ORES, Règlement de raccordement pour l’injection de biométhane dans le réseau de distribution de gaz, approuvé par la CWaPE le 17 janvier 2019.
[7] Voir Synergrid, Prespcription biométhane G8/01.
[8] Pour la période tarifaire 2019-2023, le tarif appliqué est de 1 €/MWh PCS injecté pour tous les GRD actifs en Région wallonne. Le tarif est de 0 €/MWh si le producteur décide d’installer et d’exploiter lui-même la cabine.
[9] Voir Communication de la CWaPE CD-18k14-CWaPE-0055 du 14 novembre 2018 relative à la méthodologie de calcul du taux d’octroi de certificats verts additionnels applicable pour les installations de cogénération fossile participant au mécanisme défini à l’article 15decies de l’arrêté du Gouvernement wallon du 30 novembre 2006 (injection de biométhane).